jeudi 4 avril 2013
mardi 2 avril 2013
vendredi 11 janvier 2013
les 3 enfermements
Héraclite disait:"Chacun vit dans son monde, seul l'être éveillé vit dans le monde."
Mais, de quoi est fait notre monde, le monde dans lequel chacun vit, tout en étant persuadé de vivre dans le monde ?
Ce monde individuel est le produit d'une construction psychique de plus en plus élaborée au fil de l'évolution. L'étape la plus primitive dans le processus de construction de la représentation du monde concerne la représentation spatiale. Ensuite vient le plan temporel, et enfin le plan conceptuel.
Se situer dans l'espace constitue un enjeu majeur pour la survie. Tout organisme vivant en relation avec son environnement développe grâce à son système nerveux une représentation spatiale du monde dans lequel il évolue. Au fur et à mesure que cette représentation des objets et de leurs distances respectives se précise, le système nerveux se complexifie en produisant de nouveaux réseaux de neurones. Ainsi l'intéraction entre la fonction perceptive et les diverses activités qu'elle conditionne produit une évaluation de l'environnement de plus en plus riche. Le même phénomène se produit sur le plan temporel. Dans certaines situations, il est vital de pouvoir estimer la durée nécessaire à un prédateur ou à une proie pour parcourir une certaine distance. Il y a donc une nouvelle notion de relation entre l'espace et le temps qui apparaît.
Dans le prolongement de ces estimations primitives, les deux grandes représentations que sont le passé et le futur dans la vie des êtres humains, vont prendre de plus en plus d'importance. Ainsi se construit le reflexe d'aller chercher dans le passé des souvenirs qui nous permettent d'anticiper des menaces situées dans le futur, pour éviter des situations dangereuses, ou inversement, de répéter des situations positives ou rassurantes. Ce reflexe a pour conséquence de nous enfermer dans une sorte de prison temporelle passé-futur qui renforce la première prison de la représentation spatiale.
Nous construisons donc des images du monde qui, dans un premier temps, sont tout à fait nécessaires à notre survie. Mais les enjeux que ces images comportent sont tellement importants, sur le plan physique d'abord, puis plus tard sur le plan symbolique, qu'ils mobilisent toute notre attention, toute notre énergie. Progressivement, ces images acquièrent une vie propre, autonome, et finissent par faire écran entre nous et la réalité qu'elles sont sensées représenter. Elles font comme un effet miroir, qui nous constitue en une entité séparé d'un côté, et le monde de l'autre.
Il y a un troisième enfermement, un troisième mur d'enceinte, c'est la prison conceptuelle. En effet, le mental, c'est à dire la partie de l'esprit prise en otage par la vision centrée uniquement sur l'ego, s'empare de ces deux premières expériences de l'espace et du temps qui viennent d'être décrites, pour élaborer une troisième représentation qui en est la conséquence directe, celle du moi. Le piège se referme. Le fait même de se représenter enfermé à l'intérieur d'une image du temps et d'une image de l'espace constitue la prison de haute sécurité dont il est très difficile de s'évader.
Nous sommes là au coeur du phénomène de l'identification à l'idée du moi. Le temps et l'espace, loin d'être des entités objectives extérieures à nous sont en fait des structures constitutives de notre perception. Ce sont comme des effets de perspective illusoires de notre être au monde. Il n'y a pas de moi sans temps et sans espace. Les représentations de l'espace et du temps sont à la racine du concept du moi. Il suffit de voir que cette construction est purement mentale et ce par quoi cela est vu se révèle alors comme la seule réalité. L'inversion de cette perspective signe la libération.
jeudi 10 janvier 2013
Vivre en temps réel
Stop. Arrêtez-vous, là,
maintenant, tout de suite. Qu’avez-vous fait par exemple, de cette
phrase que vous venez de lire à l’instant ? Où est-elle passée ? Où
a-t-elle disparue ? Soyez honnêtes, vous n’en savez rien. Vous ne lui
avez même pas laissé sa chance, le droit de vivre sa vie de phrase. Vous
ne lui avez pas laissé le temps de déployer toute son amplitude, de
venir se déposer et résonner dans la profondeur du silence que vous êtes
essentiellement, et par la même occasion de vous révéler la profondeur
de ce silence.
Ici il est bon de rappeler que le langage
procède malgré son apparente rigueur par métaphore. Le mot n’est pas la
chose. Ici le silence est une image pour évoquer la nature de ce « je »
que nous sommes en train d’interroger. Qu’est-ce qui s’est
passé concrètement dans la seconde qui a suivi la perception de cette
phrase ? Vous avez laissé le mental faire le travail à votre place.
Avant même que vous en ayez conscience, la machine à broyer, disséquer,
déchiqueter et finalement recracher, s’est mise en route. Et ce mental,
c’est une machine qui n’a pas de bouton d’arrêt d’urgence. Quand elle a
commencé, elle ne s’arrête plus. Elle va jusqu’au bout. Au point que si
vous retombez quelques années plus tard sur cette même phrase qui aurait
pu transformé votre vie, vous ne la reconnaissez même pas.
Vous êtes un peu dans la situation d’un type qui après une soirée un peu
trop arrosée, le lendemain matin rencontre une superbe fille. Quand
elle lui annonce qu’ils ont passé la nuit ensemble, il ne peut tout
simplement pas le croire. Et vous vous étonnez après ça qu’il ne se
passe rien d’intéressant dans votre vie.
Ce qui vient de se
passer avec cette phrase, se passe exactement de la même manière dans
votre vie. Nous sommes tous en passe de devenir des Alzheimer
ontologiques. Nous sommes à chaque instant en train de perdre la mémoire
immédiate de ce que nous sommes.
Sous la pression d’un manque
imaginaire, notre mental crée à notre insu, mais nous en sommes
complices, un objet imaginaire qu’il faut obtenir à tout prix, sous
peine d’être dans l’impossibilité d’être heureux. Cet objet bien entendu
peut être matériel ou symbolique. Il s’exprime à travers des phrases
telles que : « Quand j’aurais… », «Si seulement cela ne s’était pas
passé comme ça… ».En nous imposant une condition avant de pouvoir commencer à vivre vraiment, nous nous condamnons à ne jamais vivre pleinement.
Ainsi, nous sommes focalisés, hypnotisés par cet objet manquant en
oubliant le sujet que nous sommes, en nous trahissant nous mêmes, en
étouffant ce que nous avons de plus précieux, c’est à dire ce que nous
sommes. Nous sommes dans une fuite en avant, vers la prochaine phrase,
la prochaine rencontre, le prochain événement qui pourrait nous sauver.
Mais il n’y a rien à sauver. Il n’y a rien à jeter non plus. C’est la
totalité que nous sommes qui nous embrasse à chaque instant, en temps
réel.
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